La mode passe-t-elle au niveau supérieur avec le streetwear?

Région :

Depuis que les premiers beats hip-hop se sont infiltrés dans la bande-son de nos vies, il y a une quarantaine d’années, à la fin des années 1970 – oui, il y a deux générations! —, ils ont également laissé une empreinte importante dans la mode en offrant confort, look décontracté et éléments empruntés au sport actif.

Tout a commencé avec les sous-cultures lorsque le streetwear est apparu comme une expression de la jeunesse urbaine à New York et Los Angeles où les cultures du skateboard, du hip-hop et du graffiti étaient en plein essor. « Étonnamment, le Japon est également une influence du style urbain au début des années 90 ; un peu différente de la version américaine à laquelle nous sommes habitués, ici au Québec », explique le designer montréalais Guillaum Chaigne qui a fait du streetwear la signature de sa marque pour les connaisseurs de la mode les plus exigeants, puisque presque tout ce qu’il produit est confectionné avec soin et amour par lui-même et un groupe d’artisans, qu’il surnomme affectueusement ses « chatons » dans son atelier. Un peu à la manière de Denis Gagnon, notre enfant terrible de la mode d’ici.

À noter également, ces grandes villes regorgeaient à l’époque de lofts et d’ateliers à prix très accessibles ; des espaces réputés pour attirer les artistes et transformer ainsi les centres-villes en centres névralgiques de créativité où l’art des Basquiat et des Haring de l’époque pourrait prendre son envol. Ce qui n’est plus du tout facile à trouver dans le panorama urbain actuel où les projets immobiliers et les locations à court terme ont la mainmise sur les locations abordables. Mais ça, c’est une autre histoire…

fashion beauty runway is streetwear taking fashion to the next level 2

Les éléments du style

On a connaît tous les casquettes et les hoodies. Mais quels sont les éléments importants qui caractérisent une vraie tenue streetwear?

Tout d’abord, la silhouette XL est importante. On pense donc des pièces surdimensionnées comme celles que portaient la première génération de skaters: vestes, jeans et T-shirts très grands, pour faire écho à l’esprit de rébellion des skateparks, au rythme du hip-hop. Essentiellement, on pense confort et coolitude.

Mais au-delà de tout, les baskets sont la pierre angulaire du streetwear. Le type de chaussure qui a pris son envol lors de la première vague du streetwear, dans les années 80, grâce au skateboard et au break dance. Une décennie plus tard, les baskets sont devenues l’objet de collection convoité qu’elles sont toujours, et toute la culture qui s’est greffée autour de cette chaussure avec son style et personnalité uniques.

Le T-shirt graphique donne le ton au streetwear; c’est le moyen d’expression artistique qui en dit long sans prononcer mot. Audacieux et irrévérencieux, ce symbole qu’on porte raconte l’histoire d’une culture et devient un manifeste personnel.

Si, à l’origine, le denim était le textile de prédilection pour créer des pantalons et des vestes robustes, le streetwear a évolué pour inclure des tissus hautement techniques comme le kevlar, le nylon, les microfibres, le molleton et même la laine. Aujourd’hui, c’est davantage une question de style, de coupe et de détail qu’uniquement de tissus.

Mais au-delà de l’esthétique, le streetwear est avant tout un style pratique avec les pantalons cargo et ses multiples poches, ainsi que les vêtements d’extérieur durables qui reflètent l’aspect utile alliant forme et fonctionnalité.

Selon Alexander Bergman,l’assistant de Guillaum Chaigne, il convient également de noter que «contrairement à d’autres types de vêtements, le streetwear est plutôt inclusif en ce qui concerne la taille et la silhouette, est non genré, et fabriqué ou porté par des personnes de couleur. Cela permet donc à un public plus large de l’intégrer, mais, dépendant des moyens de chacun, le style d’une personne pourra être complètement différent d’une autre sous l’étiquette streetwear.»

fashion beauty runway is streetwear taking fashion to the next level 3

Le médium est le message

Actuellement, en mode, on assiste à un renouveau personnalisé du streetstyle avec un accent sur les mots écrits et, bien sûr, les T-shirts à message qui sont plus tendance que jamais. « Les gens ont plutôt tendance à connecter avec un designer lorsqu’ils se reconnaissent dans les messages véhiculés par les vêtements», nous rappelle Guillaum. Dans ses collections, le créateur travaille les éléments graphiques surdimensionnés et des mots – qui rappellent de gigantesques points d’exclamation – pour donner du poids à ses créations.

Alexander croit que « c’est la rébellion qui a éclaté pendant la pandémie. C’est à ce moment-là qu’on a commencé à remarquer les nombreuses inégalités qui existent dans la société, menant certains à contester l’autorité. Et le streetwear, c’est aussi ça. Il faut un message politique pour atteindre un objectif collectif. Ces types de vêtements ne sont donc pas seulement une question de style; ce sont des outils politiques avec une signification et un message forts.» «C’est aussi la raison pour laquelle les gens réagissent si bien à ces vêtements en ce moment. Ils veulent faire partie de quelque chose qui va au-delà de la mode», affirme Guillaum.

Comme tout observateur de la mode sait et comprend intuitivement, les vêtements et accessoires que l’on porte sont une extension de notre humeur et personnalité. Rien de superficiel ou de trivial dans le choix de certains articles pour montrer au monde qui nous sommes. Le streetwear a donné aux sous-cultures qui n’étaient pas légitimées ou reconnues des outils importants pour s’afficher telles qu’elles sont avec le point de vue de «’je suis différent.e et c’est ma façon de faire les choses, d’interpréter le vêtement.’ Il va de soi que dans la culture street, le désir profond de montrer qui on est présent. On cherche à se faire voir,» nous rappelle Alexander.

Fait intéressant, il a également été avancé que les vêtements surdimensionnés et les hoodies deviennent des outils pour revendiquer une plus grande place en société lorsque d’autres désirs matériels ne sont pas comblés. Une analogie intéressante en ce qui concerne l’origine du streetwear et la signification de la plupart de ses éléments.

« Je crois vraiment que le streetwear est là pour rester dans la mode. Je trouve ça super intéressant que les sous-cultures réussissent à s’exprimer à travers des vêtements au style unique. C’est certain que j’aime être reconnu en tant que designer dans ce créneau. Je me sens validé. Je fais tout ça avec conviction et passion, et donc c’est très gratifiant, » partage Guillaum.

fashion beauty runway is streetwear taking fashion to the next level 4

L’esprit de la street couture

La mode sur les tapis rouges a évolué au fil des ans, avec l’influence du streetwear et du hip-hop qui prennent de plus en plus de place pour devenir la norme lors de certains événements d’envergure à travers le monde; les hoodies remplaçant les costumes et les T-shirts portés en guise de robes.

Et lors du Met Gala de cette année, on a vu deux exemples frappants de cette esthétique sur le tapis rouge: la robe longue blanche de Doja Cat – non, en fait, un T-shirt mouillé (avec du gel pour cheveux) transparent, très long et extra-large signé Vetements.

Quant à Charli XCX, elle est arrivée avec une robe Marni d’inspiration punk entièrement confectionnée à partir d’un lot de T-shirts vintage des années 50, 60 et 70 et rehaussée de strass et de perles cousus à la main, faisant écho au style rebelle de Charli.

« Le T-shirt blanc peut dire tellement de choses, tellement de styles. C’est à la fois un classique, c’est confo, sexy et décontracté. C’est souvent l’article le plus prisé – vous savez, quand vous trouvez un T-shirt blanc parfaitement ajusté et parfaitement confortable dont vous ne voulez jamais vous départir? Et au fil du temps, ces T-shirts deviennent de plus en plus vieux, plus doux, et encore plus désirables dans cet état. C’est l’idée de départ pour cette robe » déclarait Charli à Vogue US.

Et qui peut résister à l’idée de choisir le vêtement le plus confortable qui soit pour un événement ultra-chic? C’est comme porter sa doudou sur le tapis rouge. Et pour faire contraste avec cette robe fortement inspirée du streetwear, Charli portait un soutien-gorge conique ultra-rétro. Le choc des idées et des époques!

L’avenir du streetwear passe-t-il par la création d’articles plus proches de la couture que de la mode industrielle, afin de donner cette touche personnalisée que seul un créateur de mode peut créer?

«Je ne pense pas que ça va devenir couture, mais je vois des silhouettes et des matières qui vont se greffer aux défilés et aux événements,» partage Alexander.

Dans les collections de Guillaum Chaigne, chaque pièce est réalisée sur commande à Montréal. Les retouches, imprimés et broderies sont tous réalisés à la main dans l’atelier du créateur. Le délai régulier de production est de 3 à 10 jours ouvrables. En d’autres mots, on est à des années-lumière de la fast fashion.

Pour le printemps-été 2024, Guillaum a conçu une robe longue en laine mérinos spectaculaire avec des mini-entailles punk qui serait parfaite pour une célébrité avec beaucoup de style et de personnalité sur le tapis rouge. On ajoute simplement une paire de bottes style militaire ou des talons très hauts, une coloration Cherry Coke sur la chevelure, et c’est tout. Aucun accessoire nécessaire. Ou, si, peut-être, juste une petite minaudière en cote de mailles.

« Je pense que je suis à la bonne époque, car le streetwear devient de plus en plus fashion. Ce n’est pas comme ça que ça a commencé, mais cela a changé au fil du temps. Beaucoup de gens voient maintenant le côté couture du streetwear. Et pour moi il s’agit d’intégrer mon style, ma vision dans ces collections », souligne Guillaum.

On est entièrement d’accord avec lui et on a très hâte de voir la prochaine vague de streetwear déferler sur davantage de tapis rouges et d’événements VIP!

Image principale, collage: Yasmin Grothé

Photo 3
Robe: Guillaum Chaigne
Photo: Elizabeth Couture