Faut-il suivre toutes les tendances? Point de vue sur les esthétiques de niche

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L’Internet de la mode se fait un devoir de lancer des nouveautés toutes les semaines, dans l’espoir de déjouer l’algorithme et d’être pertinent (ou de rendre sa marque pertinente). TikTok, où la plupart des mégatendances et des tendances de niche naissent, pour s’éclipser plus tard dans l’indifférence la plus totale est l’endroit où, généralement, tout cela se passe. Pas de surprise ici.

La première grande tendance de mode virale sur les médias sociaux, qui a donné le coup d’envoi aux fameux «cores», a débuté il y a dix ans, en 2013, lorsque le terme normcore a été lancé par le bureau de tendances K-Hole comme nouvelle philosophie de mode. Puisqu’il devenait de plus en plus difficile de se démarquer, d’être vraiment unique ou de devenir viral, le normcore a donné l’occasion de «s’éloigner d’une coolitude qui repose sur la différence pour aller vers une coolitude post-authenticité où l’on rejoint ce qui est semblable.» Si on ne peut pas les battre, on les rejoint!

Dans la culture normcore, on adopte l’ordinaire et le banal : simples T-shirts blancs, jeans sans label, hoodies et baskets utilitaires. Oui, on sait tous que les chaussures moches (les ‘dad shoes’) sont devenues une mode subversive lorsque Balenciaga les a détournées pour créer les monstrueuses Triple S réservées à l’élite. Mais ça, c’est une autre histoire…

Depuis que le normcore est devenu viral, l’obsession digitale pour les ‘cores’ – un suffixe pour désigner un style – n’a fait que s’accélérer.

Le normcore a été suivi en 2017 par le gorpcore, acronyme de « good old raisins and peanuts » (bons vieux raisins secs et arachides), la collation typique des randonneurs. Pour cette tendance, les vêtements de sport actif typiquement conçus pour les loisirs de plein air sont détournés en streetwear. On pense ici doudounes, chaussures de marche et (à nouveau) hoodies, matières techniques, laines polaires et textiles qui protègent des éléments. Parmi les marques privilégiées, on retrouve les North Face, Arc’teryx, Canada Goose, Patagonia et Moose Knuckles. Même Supreme a fait un virage granola. Shocking!

L’essor des ‘cores’ a coïncidé avec l’émergence d’une esthétique hyperspécifique sur les réseaux sociaux. Il existe même un wiki de l’esthétique qui répertorie tous les ‘cores’ possibles tels que bubblegumbitchcore, cottagecore, fairycore. Et tous ceux à venir! Parmi ceux qui se sont démarqués ces dernières saisons, on pense à balletcore, regencycore et, celui qui a fait toutes les manchettes l’été dernier: Barbiecore.

fashion beauty runway should every new trend be followed a perspective on ultra niche aesthetics 2

Le mouvement des esthétiques

Parallèlement à la prolifération de tous ces ‘cores’, le concept du mot esthétique a évolué, passant d’une définition purement académique et philosophique à une expression servant à cataloguer une série de styles et de ‘moods’ mode. À l’origine, au 18e siècle, le mot esthétique signifiait « la science de la perception sensorielle ». Avec le temps, la définition a été modifiée afin d’exprimer davantage une appréciation de la beauté, où « esthétique » était synonyme de quelque chose de visuellement attrayant. Et qui n’est pas attiré par la beauté?

Les habitués de la plateforme Pinterest ont probablement constaté la multiplication de photos et de boards sous le terme ‘esthétique’. On y retrouve une esthétique du bleu, une esthétique délicate, une esthétique royale, une esthétique du luxe discret, etc.

Selon Pinterest, le mot « esthétique » suscite un intérêt marqué depuis 2018, avec un pic de 60 % de recherches pour quelque chose d’aussi simple que « esthétique core » sur la plateforme de photos permettant de définir et d’expérimenter son identité mode.

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Mais que veut dire tout ceci?

Avoir simplement du style ne suffit plus. C’est plébéien. Maintenant que se démarquer en ligne avec l’image appropriée est presque une occupation à temps plein, avoir du style est prosaïque. Et quand on sait qu’une bonne partie des utilisateurs sur les réseaux sociaux cherche à créer et peaufiner sa personnalité en ligne. Qu’on soit influenceur ou non… D’où l’importance de contrôler son image et le narratif afin de coller à ce qui se passe pour communiquer efficacement qui ont est. Voilà où entrent en ligne de compte les esthétiques.

Les réseaux sociaux sont un formidable terrain de jeu pour mettre en valeur son esthétique du moment. On façonne son identité avec elles. Et sur Internet, on possède autant de contrôle qu’un artiste pour créer une image spécifique et cohérente. Sur la toile pixelisée sur laquelle on projette cette image de soi (qu’on l’appelle compte ou plateforme), chaque décision communique un détail précis, comme le ferait Wes Anderson pour cadrer ses plans afin d’obtenir une symétrie parfaite, une palette de couleurs précise et une direction artistique impeccable.

Dans cette optique, parler uniquement de style semble soudainement démodé et inadéquat. Sans intérêt. Qui ne voudrait pas plutôt chercher à créer une esthétique?