Le denim: pour tous et partout en ce moment

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Non, ce n’est pas votre imagination.

Le denim s’est frayé un chemin dans la plupart des défilés et des présentoirs en ligne et dans la vraie vie, en ce moment. On le voit décliné dans toutes les nuances et subtilités de délavés, du très foncé au super pâle, en passant par différents degrés de déchirures (destiné à démontrer son côté recyclable), ou même très chic, voire luxe.

C’est ce qui se passe clairement pour l’automne 2023, et même pour le printemps/été 2024 comme en témoigne Ralph Lauren en s’éloignant un brin du ‘quiet luxury’ et du style preppy, qui ont fait l’essor de la marque, en présentant des jeans à imprimés fleuris, des jupes sirène, des vestes (le tout en denim) et même des jeans cargo déchirés avec des empiècements de tulle. Ce qui en dit long sur l’hégémonie de la toile d’origine humble, désormais présentée dans d’autres contextes et styles.

Si, à une certaine époque, le denim était indissociable du jeans, c’est autre chose en 2023.

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Les nombreuses interprétations du denim

Cette année, le denim se retrouve dans la chaussure (mules sexy à talons aiguille, baskets à plateforme et bottes cowboy – certaines même avec des guêtres), sous forme de hauts rappelant le corset, robes moulantes, jupes en jeans (directement inspirées des tendances de l’an 2000), vestes ceinturées et même (oh, surprise!) des jeans à jambes larges. Et, évidemment, le denim se décline également dans une foule d’autres coupes de pantalons. Oui, le débat «le skinny, c’est pour les dinosaures» est maintenant révolu puisque la silhouette fine vilipendée est de retour au premier rang chez certains créateurs : Céline et Saint-Laurent, pour commencer. Désolés, Gen Z.

Selon Stéphane Le Duc, journaliste mode et enseignant à Montréal, « on avait l’impression d’avoir tout fait avec le denim mais on se rend compte qu’il y a encore beaucoup à faire.» Les grandes marques comme Chanel et Vuitton ont presque toutes réalisé des sacs en denim, dans la dernière année. Après avoir retravaillé les vestes, on refait les objets qui les accompagnent. C’est presque l’étape ultime de l’intégration de cette toile de coton épais dans un véritable article mode, et on se sert de ce tissu comme d’un cuir. Après avoir ennobli le denim en rajoutant des motifs et des imprimés, comme des bijoux sur les épaules des vestes, des broderies et des pierreries, on passe maintenant vers d’autres articles de la garde-robe. Ce qui amène presque le denim vers la haute couture.

Le jeans taille basse? S’il n’est pas aussi extrême que le bumster d’origine, créé par Alexander McQueen en 1994, il fait un timide retour. On n’a qu’à voir la collection printemps-été 2023 de Bluemarine, avec ses skinnies évasés, et la collection de Diesel printemps-été 2024 avec son ambiance clinquante de rave techno mettant de l’avant les silhouettes légendaires de la marque, dont quelques modèles taille basse. “Glenn Martens, le directeur création de Diesel, a été brillant de retourner aux origines de la marque en redécouvrant les collections importantes et les interpréter pour l’ère actuelle», explique Stéphane.

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Des jeans plus larges et plus amples

On dit que la pandémie a scellé le destin du jeans skinny, car personne n’avait vraiment envie de travailler à la maison dans un modèle de pantalon aussi serré et inconfortable. Sans compter que les Gen Z ne veulent pas s’habiller comme leurs parents, eux qui ont adoré et porté le skinny pendant plus d’une décennie. Alors, oui, les jeans s’élargissent et les modèles qui rappellent les années 90 font un retour en force, les préférés étant les ‘boyfriend’ et les ‘dad fit’ jeans. Les jeans droits et amples sont à l’ordre du jour, tant pour les femmes que pour les hommes.

Selon Stéphane, pour la nouvelle génération, il s’agit d’une «découverte et un engouement parce qu’on veut s’éloigner des formes. On rejette le skinny en allant vers une silhouette plus large et plus opulente».

Mais ce qui change vraiment, c’est l’incroyable variété de coupes et de largeurs de jambes qui cohabitent en magasin – et qui se vendent toutes à un rythme soutenu. Par exemple, chez le détaillant mode québécois Simons, on retrouve une centaine de modèles de jeans pour femmes dans une grande variété de modèles et de largeurs, du skinny au bootcut en passant par les jambes évasées et extra-larges. Pour les hommes? Toujours chez Simons, la sélection va du skinny/slim à ce que l’on appelle les « nouvelles proportions », y compris un jeans ample et court à plis d’un label coréen, « aux dimensions amplifiées”.

Cette année, lors des plus récentes Semaines de mode, les jeans à jambes ultra-larges étaient de tous les défilés. Audacieux, en hiver ce jeans volumineux possède le double avantage de prendre plus de place, tout en intégrant l’aspect confort d’une couverture de coton. Idéal pour créer une bulle invisible dans les vols transatlantiques et les transports en commun. La silhouette élargie de ce jeans, que la plupart des stylistes appellent des jambes « extrêmes », est bien sûr dramatique. Pour équilibrer les proportions, on l’associe de préférence à un haut plus discret.

Contrairement aux skinny, la plupart des jeans aux jambes plus larges ne requièrent pas l’ajout de fibres élastiques telles que l’élasthanne dans la composition du tissu, ou même de polyester pour leur redonner plus de robustesse, ce qui ouvre la voie à des nouveaux modèles plus durables.

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La question du «selvedge»

Tout véritable amateur de denim connaît l’importance du «selvedge» (contraction de l’anglais «self edge», raccourci pour “self-finished edge”, signifiant en français «bord fini»), qui désigne la lisière d’un rouleau de tissu empêchant celui-ci de s’effilocher lorsqu’on fabrique une paire de jeans. Le ‘selvedge’ permet également d’obtenir un tissage plus serré et plus dense. Celui-ci est également l’une des caractéristiques les plus recherchées du denim japonais, généralement terminé avec une lisière rouge; bien que le vert, le blanc, le marron et le jaune soient aussi à l’occasion présents.

Objet de convoitise pour les collectionneurs, le denim japonais est plus coûteux à produire, car il ne peut être tissé qu’à une largeur de 31 pouces, soit environ la moitié de la largeur du denim sans lisière, et il est tissé sur des machines vintage, qui requièrent davantage d’opérations manuelles. Ce qui n’est pas sans rappeler l’attrait des T-shirts premium en coton, également fabriqués au Japon sur des métiers d’une époque révolue.

La demande pour ce type de finition est si importante que les grands collectionneurs — ceux qui n’hésitent pas à débourser des milliers de dollars pour un article vintage spécifique ou un modèle difficile à trouver – peuvent maintenant trouver leurs jeans selvedge par le biais de certaines marques canadiennes misant sur le denim haut de gamme comme Naked and Famous, Atelier Détails, et autres studios de création comme Spare Jeans à Montréal, qui mettent l’accent sur la qualité du denim brut et la fabrication de modèles sur mesure.

«L’utilisation du denim brut est de plus en plus répandue, et ce tissu gagne du terrain, car les créateurs le choisissent pour le rehausser avec des motifs plus élaborés, des garnitures et des surpiqûres», explique Stéphane.

Mais qu’est-ce que le denim brut, exactement ?

Sommairement, le denim brut est une toile de denim non lavée et ne comprenant aucun pourcentage d’élasticité. Jusqu’au début des années 1970, tous les jeans étaient fabriqués de cette façon, ce qui veut dire que les consommateurs ‘vieillissaient’ eux-mêmes leurs jeans en raison de la rigidité et de l’absence totale d’élasthanne ou de Lycra pour obtenir un ajustement parfait. Ce qui veut dire que cette toile requiert un certain temps d’adaptation avant de s’assouplir, et se mouler à un corps afin de créer les plis et l’effet délavé qui lui sont propres. C’est ce qui fait toute la beauté du denim brut, car il n’existe deux paires identiques. Le vêtement prend vie avec la personne qui le porte, sa silhouette unique et sa façon de bouger unique. D’une certaine manière, ça fait de ce vêtement davantage une pièce haute couture.

D’un point de vue de la durabilité, l’un des avantages du denim brut est son empreinte carbone beaucoup plus réduite que celle du denim lavé. En moyenne, une paire de jeans lavée et prédélavée nécessite 42 litres d’eau pour en arriver à cette allure usée. En outre, des produits chimiques sont généralement employés pour traiter le tissu, sans parler de l’électricité nécessaire pour sécher le jeans après le lavage, ainsi que la main-d’œuvre (souvent) bon marché pour effilocher le vêtement à la main, lorsque des contraintes de design l’exigent et que le jeans est fabriqué dans d’autres pays.

Est-ce le moment de revenir vers un denim plus authentique, plus robuste, qui, au fil du temps, sera à l’image de la personne qui lui a donné ses formes en le portant? C’est peut-être ça, la couture de demain…